Balance bénéfice risque

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1       Introduction

Les conséquences sur l'organisme d'un traitement, médicamenteux ou d'autre nature, ne sont jamais exclusivement bénéfiques, mais s'accompagnent d'effets indésirables, plus ou moins sévères, plus ou moins intenses ou fréquents. Il n’est guère d’exemple de traitement largement usité, qui n’ait, un jour ou l’autre, provoqué un effet fâcheux, parfois sérieux. La prise de décision doit donc mettre en balance les effets bénéfiques et les effets négatifs. Les questions qui surgissent à ce niveau sont  : « Est-ce que le risque lié aux effets indésirables est acceptable compte tenu de la maladie traitée ? », « les effets indésirables ne contrebalancent-ils pas la totalité du bénéfice ? ».

Classiquement cette problématique s'aborde par l'étude du rapport bénéfice/risque. Mais, malgré ce que pourrait faire penser sa dénomination, ce rapport est difficilement quantifiable. La plupart du temps, son évaluation est discursive, même si elle est basée sur des données numériques, car bénéfice et risque ne sont pas de la même nature, et il n’est pas possible de les confronter directement.

Tableau 1 – Quelques situations où bénéfice et effets indésirables sont de natures différentes

Situations

Bénéfice

Effets indésirables

Oméprazole dans ulcère duodénale

Augmentation du taux de cicatrisation

Troubles neuropsychiatrique, rares troubles hématologiques

Statines dans la prévention secondaire des maladies cardiovasculaire

Réduction de mortalité et de morbi-mortalité

Myalgies parfois associées à une rhabdomyolyse, se compliquant exceptionnellement d’insuffisance rénale aiguë

IEC insuffisance cardiaque

Réduction de mortalité et de morbi-mortalité

Toux, rare œdème de Quincke, augmentation modéree de la créatinine

 

À ce niveau, le but de l’interprétation des résultats est de déterminer si la balance bénéfice risque est favorable ou non au traitement. Le raisonnement et les éléments d’interprétation vont être différents en fonction de la gravité relative des événements indésirables par rapports à la maladie ou à la nature du bénéfice apporté.

1.1      Effets indésirables de gravité supérieure à la maladie

Lorsque les événements indésirables sont de gravité bien supérieure à la pathologie traitée, la balance bénéfice/risque sera défavorable lorsque le risque encouru est disproportionné par rapport au bénéfice apporté. C’est le cas, par exemple, de la survenue de syndromes de Lyell potentiellement mortels avec la prise d’AINS pour soulager des traumatismes bénins. Par contre, avec des chimiothérapies anticancéreuses, un risque faible de syndrome de Lyell est acceptable compte tenu de la gravité de la maladie et du bénéfice attendu sur la mortalité.

En fait, la gravité des événements indésirables est à confronter, non pas à la gravité de la maladie, mais à la nature du bénéfice. Ainsi, la survenue de syndromes de Lyell avec un antiémétique est peu acceptable même dans un contexte oncologique.

Tableau 2 – Quelques situations où le risque lié aux effets indésirables a été jugé excessif par rapport au bénéfice apporté.

Situation

Risque lié aux effets indésirables

Bénéfice prouvé

Alosetron dans le colon irritable [1]

Infarctus mésentérique et occlusion intestinale (dont certains cas mortels). Ce traitement a été retiré de la commercialisation 9 mois après son introduction sur le marché aux USA à la suite du décès de 5 patients

Diminution de l’inconfort et des douleurs abdominales

Troglitazone dans le diabète de type 2

Insuffisance hépatique conduisant dans certains cas au décès ou à la transplantation. Le troglitazone a été retiré du marché 3 ans après sa commercialisation à la suite de 90 cas d’insuffisance hépatique dont 70 mortels ou ayant nécessités une transplantation.

Diminution des taux d’hémoglobine glycosylée (pas d’effet prouvé sur les complications du diabète)

 

Cette évaluation repose sur un jugement de valeur et va donc dépendre de l’appréciation qui est faite de la gravité des événements indésirables et de l’importance de leur fréquence de survenue. Cette appréciation repose sur des échelles de valeur qui peuvent être différentes suivants les médecins, les patients et qui dépendent des choix sociétaux. Ces éléments expliquent les différences d’appréciation des mêmes données qui se rencontrent parfois dans l’évaluation de la balance bénéfice risque.

1.2      Effets indésirables de même nature que la maladie

Certains événements indésirables sont de même nature que les événements que le traitement cherche à prévenir. Ils sont donc susceptibles de contrebalancer en partie ou en totalité le bénéfice apporté par le traitement (cf. tableau 3).

C’est, par exemple, le cas des décès par hémorragie cérébrale induit par l’utilisation des fibrinolytiques à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. Dans ce cas le critère de jugement utilisé pour l’efficacité, le décès, prends aussi en compte les effets délétères et évalue directement la balance bénéfice risque. Par exemple, avec la streptokinase comparée au placebo, la mortalité totale est réduite de 23% ce qui permet de dire que, même si il existe des effets délétères mortels, ceux-ci sont quantitativement minoritaire à coté des effets bénéfiques du traitement. Cette situation est la plus propice à une tentative de quantification du rapport bénéfice risque (cf. section suivante).

Fréquemment, les événements indésirables graves s’accompagne d’un cortège d’événements plus bénins mais qui entraînent une gêne substantielle des patients. Ces deux dimensions doivent être prise en compte dans la décision.

Tableau 3 – Exemples de situations où les effets indésirables sont de même nature que le bénéfice apporté par le traitement

Situation

Effets indésirables

Bénéfice

Aspirine en prévention des maladies coronariennes ischémiques (American Physicians’ Health study) [2]

Augmentation de la fréquence des accidents cérébraux hémorragiques

Diminution de la fréquence des événements coronariens (infarctus)

Œstrogènes et hypercholestérolémie (CDP) [3]

Augmentation de la fréquence des thromboses veineuses

Diminution de la fréquence des événements coronariens (infarctus)

 

Les effets indésirables bénins posent des problèmes identiques lorsque le bénéfice apporté par le traitement est de même nature. Par exemple, dans le syndrome d’instabilité vésicale, un traitement qui améliorerait la symptomatologie en diminuant le nombre de mictions, mais qui s’accompagnerait d’effets indésirables fréquents de type anti-cholinergique (sécheresse buccale et oculaire, nervosité, somnolence, etc.) aurait une balance bénéfice risque défavorable. Pour un grand nombre de patients, le désagrément induit par le traitement serait analogue à celui qui est soulagé par le traitement. Bien entendu cette appréciation est susceptible de varier en fonction du patient, suivant son vécu de la symptomatologie urinaire.

1.3      Synthèse

Au total, la balance bénéfice risque est défavorable dans les situations suivantes dont les principales caractéristiques sont récapitulées dans le Tableau 5 :

·         la gravité des événements indésirables fait courir un risque disproportionné par rapport à la gravité de la maladie ou par rapport à la nature du bénéfice apporté,

·         la fréquence des événements indésirables contrebalance le bénéfice.

 

Des facteurs externes rentrent aussi en ligne de compte dans l’appréciation de la balance bénéfice risque (Tableau 4), comme :

·         les risques inhérents aux autres traitements déjà existant : la balance bénéfice/risque d’un nouveau traitement sera jugé défavorable s’il est moins bien toléré que les traitements déjà disponibles, même si dans l’absolu, la balance bénéfice risque pourrait être acceptable ou si l’efficacité du nouveau traitement est légèrement supérieure à celle des autres,

·         la différence de perception entre la personne exposée au risque, la victime potentielle, et le décideur (cf. tableau ci-dessous). La perception du risque par les patients vient donc s’interposer entre l’évaluation de la balance bénéfice risque et la décision qui doit tenir compte de ce filtre déformant.

·          

Tableau 4 – Différence de perception de la nature du risque entre le décideur et la victime

 

Analyse du décideur

Analyse de la victime

Nature du bénéfice

Social, donc général

Particulier, donc individuel

Nature du détriment

Risque, donc probabilité

Danger, donc intolérable

2       Mesure du rapport bénéfice/risque

Plusieurs approches sont possibles pour essayer d'appréhender numériquement la balance bénéfice-risque, c’est-à-dire de calculer le rapport bénéfice/risque. Leur objectif est de fournir un seul indice numérique intégrant les aspects positifs et négatifs d'un traitement sur lequel pourrait se baser la décision. Quelle que soit la voie suivie, l'obtention d'un tel indice se heurte au même problème : celui de pondérer les effets positifs et négatifs en fonction de la gravité des événements qu'ils concernent. Cette pondération débouche sur des choix liés à des échelles de valeur, dépendant de nombreux paramètres externes (gravité, fréquence, réversibilité, coûts induits, etc…). Ces choix s’avèrent donc arbitraires et dépendants d'un contexte particulier.

Tableau 5 – Les deux situations dans lesquelles les effets indésirables compromettent la balance bénéfice risque (BBR).

Événements graves et non spécifiques de la maladie

Événements fréquents peu spécifiques

Très difficile à détecter au cours des essais cliniques

Mise en évidence par comparaison à un groupe contrôle (analyse de sécurité d’un essai d’efficacité).

Détectable en pharmacovigilance, avec quantification à l’aide d’études d’observation.

Indétectable en pharmacovigilance (en raison d’un bruit de fond important)

Mécanisme souvent inconnu

soit conséquence de l’effet thérapeutique (ex AVC et streptokinase), soit effet secondaire de mécanisme plus ou moins connu (ex AINS et effet indésirables gastro intestinaux)

Rendent la BBR défavorable quand ils font courir un risque disproportionné par rapport à la gravité de la maladie ou au bénéfice apporté, ou quand ils sont plus fréquents qu’avec les médicaments concurrents de même efficacité

Rendent la BBR défavorable quand :

­          le produit fréquence ´ gravité annule le bénéfice

­          une fréquence excessive compromet l’observance (ex constipation avec dose efficace de cholestyramine)

2.1      Critères composites

Le principe des critères composites pour la mesure du rapport bénéfice/risque est de regrouper les événements positifs et les événements négatifs au sein d'un même critère.

À la phase aiguë de l'infarctus, la comparaison de l’alteplase (t-PA) au fibrinolytique de référence, la streptokinase, a fait appel à un critère combiné regroupant les décès et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) invalidants (Tableau 6) [4]. Ce critère prend en compte simultanément le bénéfice du traitement, c’est-à-dire la réduction du nombre de décès, et les effets délétères les plus graves représentés par les AVC consécutifs aux hémorragies cérébrales induites par la fibrinolyse. Ce critère intègre à la fois la diminution du nombre de décès et l’augmentation du nombre d’AVC induits. Les résultats obtenus sont les suivants.

Tableau 6 – Exemple de critère composite regroupant à la fois une dimension d’efficacité (décès) et de sécurité (AVC invalidant).

 

Alteplase

n=10 344

streptokinase

n=20 173

p

Décès ou AVC invalidant

7,8%

6,9%

p=0,006

Décès

7,3%

6,3%

p=0,04

AVC invalidant

0,5%

0,6%

NS

 

Une réduction de ce critère composite s'interprète comme une réduction du nombre de décès sans AVC invalidants. Le surcroît d'AVC invalidants ne contrebalance pas totalement la réduction de mortalité.

L'addition des effets positifs et négatifs sous-entend une pondération de 1 pour 1 : un événement délétère a la même valeur qu'un événement bénéfique. Le bénéfice apporté par un événement évité est entièrement effacé par la survenue d’un événement délétère.

Dans l’exemple de la fibrinolyse, il a donc été considéré que la gravité d'un AVC invalidant est la même que celle d'un décès. S'il survient autant d'AVC invalidants que de décès évités, le traitement sera déclaré sans intérêt. Cette pondération reflète une certaine échelle de valeur : être victime d'un AVC invalidant équivaut à décéder. Cette échelle de valeur va aussi transparaître dans la définition de ce qu'est un AVC invalidant.

L'obtention d'une réduction importante du critère de jugement composite rend moins critique l'arbitraire de la pondération, le résultat s'avérant peu sensible à la pondération utilisée.

2.2      Rapport des "bénéfices" absolus

Il a été proposé de recourir au bénéfice absolu (et au NNT) pour effectuer une confrontation numérique du bénéfice et du risque lorsque les effets indésirables et les événements cibles de la thérapeutique sont de nature similaire [5].

Dans l’exemple présenté dans le tableau suivant, le traitement de 1000 patients permet d’éviter 36 événements cibles tandis qu’il engendre 12 événements indésirables. Au total, le rapport bénéfice/risque se traduit par une réduction net de 36-12=24 événements cibles sans événements indésirables.

 

 

Groupe traité

n=1 000

Groupe contrôle

n=1 000

Bénéfice/maléfice absolu

Effet +
événement cible

156

192

-3,6 %

Effet –
événement indésirable

35

23

+1,2 %


La figure suivante donne un exemple de représentation graphique permettant de donner une évaluation visuelle de la quantification de la balance bénéfice risque. Le traitement augmente la fréquence des événements de safety « key safety endpoint » (HR 1.32, p=0.03) mais globalement la fréquence de ces événements est plus faible que celle des événements que le traitement cherche à éviter (« primary efficacy endpoint »),et qui réduite par le traitement (HR=0.81, p<0.001). Au total le traitement à réduit le nombre d’événements d’efficacy de 138 et à engendrer 35 événement indésirable (safety endpoint). Au total la balance est favorable avec un « bénéfice net » de 138-35=103 événements.

 

 

 

De plus il est possible de calculer le rapport NNH/NNT qui quantifie en moyenne le nombre d’événements évités pour un événement indésirable induit. Il s’agit de l’importance relative des effets indésirables par rapport aux effets bénéfiques. Avec les résultats de l’exemple, le calcul donne les résultats suivants :

 

Effet + (événement cible)

 

NNT = 27,7

NNH/NNT = 3

En moyenne, un événement indésirable survient pour 3 événements cibles évités par le traitement.

Effet – (événement indésirable)

NNH = 83,3

Exemple

Dans ISIS 2, la fréquence des hémorragies majeures durant l’hospitalisation passe de 18/8491 (0,21%) sous placebo à 46/8490 (0,54%) sous streptokinase, soit un surcroît de 0,33% en différence absolue. Le NNH est de 1/0,0033=303. En moyenne, une hémorragie supplémentaire survient durant le séjour hospitalier tous les 303 patients traités. En comparaison, la réduction de mortalité est de 2,77% en absolu (9,2% vs 12,0%) ce qui correspond à un NNT=36. En moyenne, une hémorragie majeure survient tous les 303/36=8,4 décès évités.

Cette approche de mesure du rapport bénéfice/risque est en fait proche de la précédente basée sur l'utilisation d'un critère composite. Les bénéfices absolus obtenus sur chacune des composantes sont additionnés à la place des événements dans un même critère composite.

De plus, contrairement à l’utilisation d’un critère composite, la confrontation des estimations du NNT et du NNH n’intègre pas l’imprécision de ces estimations et conduit à raisonner sans tenir compte de leur intervalle de confiance.

1       Estimation du rapport bénéfice/risque en fonction du risque de base

1.1      Interaction arithmétique

Le bénéfice absolu dépend du risque de base.

Pour un traitement donné, le risque relatif s’avère plutôt constant à travers les essais, même s’ils ont été réalisés dans différentes populations [6]. En méta-analyse, cette constance du risque relatif donne un sens au regroupement de plusieurs essais. D’une manière générale, c’est aussi en raison de cette relative stabilité des effets des traitements qu’il est justifié d’extrapoler le résultat des essais aux patients futurs.

Arithmétiquement le bénéfice absolu apporté par un traitement est d’autant plus important que le risque de base est élevé.

Un des paramètres qui distinguent les populations de patients de différents essais est le risque de base. Des essais ont inclu des patients à haut risque et d’autres des patients à faible risque. De ce fait, même si le bénéfice relatif du traitement est le même dans tous ces essais, les conséquences du traitement, appréhendées, par exemple, par le bénéfice absolu, vont être différentes. En effet, le bénéfice absolu sera d’autant plus grand que le risque de base est élevé.

La différence de risque DR se calcule à partir du risque relatif RR et du risque de base r0 par la formule :

La différence de risque est donc directement proportionnelle au risque de base. Ainsi, le bénéfice absolu apporté par un traitement varie en fonction du risque de base en dehors de toute variation de l’effet du traitement lui-même. Sans aucune variation de l’effet du traitement, les sujets à haut risque tirent plus de bénéfice d’un traitement que les sujets à bas risque.

Cette situation où le risque relatif est constant quel que soit le risque de base se retrouve fréquemment. Dans une analyse de 112 méta-analyses, Schmid et al. trouve que le risque relatif ne varie avec le risque de base que dans 13% des cas tandis qu’une relation est trouvée avec la différence des risques dans 31% des cas [6]. L’hypothèse d’un risque relatif constant est donc en général raisonnable et peut être testée en méta-analyse grâce à des outils de méta-régression [7-9].

Il existe cependant quelques exemples où le risque relatif est différent chez le patient à haut ou à faible risque. L’effet des inhibiteurs de l’enzyme de conversion dans le traitement de l’insuffisance cardiaque congestive semble plus important chez les patients avec un risque annuel de mortalité supérieur à 15% (RR=0,64, IC95% =[0,51 ;0,81]) que chez les sujets à bas risque (RR=0,88, IC95%=[0,80 ;0,97]). Ce résultat est obtenu par la méta-analyse de 39 essais dont 28 ont inclus des patients à bas risque et 11 des patients à haut risque [10].

1.2      Conséquence pour la décision thérapeutique

Cette interaction arithmétique a des répercussions au niveau de la décision de traiter les patients [11]. Avec un traitement ayant démontré sont efficacité, une abstention thérapeutique pourra être justifiée chez les patients à très faible risque en raison du très faible bénéfice absolu attendu chez eux. La petitesse du bénéfice à attendre du traitement doit alors être confrontée aux désagréments subit par le patient (astreinte à suivre un traitement, etc.), au coût du traitement et, surtout, au risque d’effets indésirables. Les patients à très faible risque sont exposés au risque d’effets indésirables pour un bénéfice attendu quasi nul.

Ceci étant d’autant moins acceptable que les effets indésirables sont potentiellement graves.

Par exemple, une complication grave de la fibrillation auriculaire, non due à une pathologie rhumatismale, est l'embolie cérébrale qui provoque un accident vasculaire cérébral plus ou moins invalidant et entraînant assez fréquemment le décès. Les anticoagulants oraux réduisent le risque de survenue de ces embolies, mais au prix d'un risque induit d'hémorragies cérébrales. Des essais thérapeutiques ont évalué l'efficacité de cette approche thérapeutique. Dans ces essais, le risque de base d'accidents cérébraux vasculaires ischémiques est variable et réduit de façon proportionnelle par le traitement. Par contre, le risque sous traitement d'hémorragies cérébrales est relativement fixe d'un essai à l'autre. Ainsi, le risque global d'accidents vasculaires cérébraux (ischémiques et hémorragiques) se décompose en deux composantes : ischémique modifiée de façon multiplicative par le traitement et iatrogène dont le risque sous traitement est constant quel que soit le risque de base d'accidents vasculaires cérébraux (en presque totalité d'origine ischémique chez ces patients). Ces différences dans la forme de ces deux modèles d'effet s'expliquent par le fait que ces deux effets ont des mécanismes et des sites d'action différents. L'effet sur les accidents cérébraux ischémiques proviendrait d'une action sur les processus thrombo-emboliques au niveau de l'atrium gauche, processus qui conditionnent directement le risque de base de ces malades. Par contre, la composante iatrogène découlerait d'une action sur un site différent (paroi vasculaire cérébrale) et le risque de survenue de ces complications hémorragiques est indépendant du risque thromboembolique cardiaque.

Il est possible de représenter graphiquement ces différents effets du traitement anticoagulant oral sur un graphe où le risque spontané est en abscisse et le risque sous traitement en ordonnée. Ce type de graphe est appelé graphique de modèle d’effet [12] ou graphique de L’Abbé.

 

E2H7XG08

Figure 1 – Graphique de modèle d’effet.

Ce graphe est scindé en deux zones par la première bissectrice. Dans la zone située en dessous de la bissectrice, le risque sous traitement est inférieur au risque de base r1<r0, et correspond à un effet bénéfique. Les points situés sur la bissectrice sont tels que r0 = r1 et représentent l'absence d'effet traitement, tandis que la zone au-dessus de la bissectrice matérialise les effets délétères (où r1 > r0). Sur ce graphe, les résultats des essais peuvent être représentés par des points de coordonnées (x = r0, y = r1).

L’action des anticoagulants oraux sur la survenue des accidents vasculaires ischémiques diminue leur risque de survenue de façon proportionnelle (risque relatif). Cet effet est représenté graphiquement par une droite issue de l’origine est dont la pente est égale au risque relatif.

E2H7YI09

Figure 2 – Modèle d’effet multiplicatif.

Par contre, le risque délétère d’accident vasculaire cérébral d’origine hémorragique se traduit par une droite parallèle à la bissectrice et située au-dessus d’elle. En effet, ce risque délétère est constant quel que soit le risque de base d’AVC ischémique et s’ajoute donc à celui-ci.

E2H7YV0A

Figure 3 – Modèle d’effet additif.

Au total, l’effet net des anticoagulants oraux est la somme des effets bénéfiques et des effets délétères. Il se traduit par une droite coupant la bissectrice. Cette intersection définit alors un seuil de risque de base délimitant deux régions où l’effet du traitement anticoagulant oral sur le risque d’AVC est totalement différent.

En dessous de ce seuil, le traitement est globalement délétère car les effets indésirables du traitement sont plus importants que le bénéfice qui est limité du fait d’un risque spontané faible. Au-dessus du seuil, le bénéfice devient plus important que les effets délétères et globalement le traitement réduit la fréquence des AVC.

E2H7Z90B

Figure 4- Modèle d’effet mixte.

Cette propriété est fondamentale, car elle conduit au fait qu'un même traitement peut être à la fois bénéfique ou délétère suivant le risque de base rattaché à la situation dans laquelle il est utilisé. Ainsi, disparaît tout manichéisme dans l'effet d'un traitement. Cette propriété débouche aussi sur le constat dans une telle situation de l'insuffisance des mesures simples qui peuvent ne refléter qu'un aspect de l'effet du traitement. Ainsi, il n'est plus possible de se contenter d'un seul indice pour caractériser l'effet du traitement mais de deux. De même, l'effet dont pourra bénéficier un patient donné n'est plus absolu mais dépend de son risque initial.

L’utilisation de la warfarine pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux dans la fibrillation auriculaire produit une réduction du risque d’AVC de 73% mais s’accompagne d’une augmentation absolue du risque d’hémorragies cérébrales mortelles de 3%[11]. Les données de suivi de SPAF permet aussi de déterminer le risque annuel d’AVC en fonction du nombre de facteurs de risque que présentent les patients : hypertension, insuffisance cardiaque, antécédent thromboembolique, dysfonction ventriculaire gauche, taille de l’atrium augmentée [13].

Le tableau 7 compare le bénéfice absolu au risque hémorragique en fonction du nombre de facteurs de risque. Pour un patient ne présentant aucun facteur de risque, la warfarine évite annuellement en moyenne 4,4 AVC pour 1000 patients traités, mais induit 30 hémorragies cérébrales mortelles. La balance bénéfice risque est donc très déséquilibrée. Par contre, pour les patients présentant deux ou trois facteurs de risques, la warfarine permet annuellement en moyenne d’éviter 91 AVC pour 1000 patients en engendrant 30 hémorragies. La balance bénéfice risque s’avère alors positive avec 3 AVC évités pour une hémorragie induite.

Tableau 7 – Comparaison du bénéfice absolu au risque hémorragique en fonction du nombre de facteurs de risque.

Nombre de facteurs de risque

Risque de base d’AVC

Bénéfice absolu AVC

Risque absolu d’hémorragies

0

0,6%

4,4/1000

30/1000

1

4,8%

35/1000

30/1000

2 ou 3

12,5%

91/1000

30/1000

 

2       Bibliographie

 

1.  Camilleri M, Nothcutt AR, Kong S, Dukes GE, McSorley D, Mangel AW. Efficacy and safety of alosetron in women with irritable bowel syndrome: a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2000;355:1035-40. PMID:

2.  Final report on the aspirin component of the ongoing Physicians' Health Study. Steering Committee of the Physicians' Health Study Research Group. NEJM 1989;321(3):129-35. PMID:

3.  The Coronary Drug Project. Findings leading to discontinuation of the 2.5-mg day estrogen group. The coronary Drug Project Research Group. JAMA 1973;226(6):652-7. PMID:

4.  The GUSTO Investigators. An international randomized trial comparing four thrombolytic strategies for acute myocardial infarction. NEJM 1993;329:673-682. PMID:

5.  McQuay HJ, Moore AR. Using numerical results from systematic review in clinical practice. Anns of Internal Medicine 1997;126:712-20. PMID:

6.  Schmid CH, Lau J, McIntosh MW, Cappelleri JC. An empirical study of the effect of the control rate as a predictor of treatment efficacy in meta-analysis of clinical trials. Stat Med 1998;17:1923-42. PMID:

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10.  North of England Evidence-based Guideline Development Project. ACE inhibitors in teh primary management of adults with symptomatic heart failure. Newcastle-upon-Tyne: Centre fro Healthh Services Research; 1997.

11.  Glasziou PP, Irwig LM. An evidence based approach to individualising treatment. BMJ 1995;311:1356-1359. PMID:

12.  Cucherat M, Boissel JP. Modèles d'effet et méta-analyse. Thérapie 1997;52:13-18. PMID:

13.  SPAF investigators. Warfarin versus aspirin for prevention of thromboembolism in atrial fibrillation: stroke prevention in atrial fibrillation II study. Lancet 1994;343:687-691. PMID:

 

 

 

 

 

Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale

www.spc.univ-lyon1.fr/polycop

Michel Cucherat

Faculté de Médecine Lyon - Laennec

Mis à jour : aout 2009