Groupe contrôle

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1       Les limites de l’observation ponctuelle

L’administration d’un nouveau traitement antiviral à un patient souffrant d’un « rhume banal » a été suivi de la guérison complète du patient. Bien évidemment, ce type d’argument n’est pas acceptable comme preuve de l’efficacité du traitement car le rhume est une maladie qui guérit spontanément. L’observation de la survenue de la guérison après l’administration du traitement ne peut pas être attribuée avec certitude au traitement car elle serait aussi survenue spontanément. L’évolution spontanée de la maladie peut ainsi être confondue avec l’effet du traitement et conduit à se méprendre sur l’origine de la guérison observée. L’évolution naturelle est un facteur de confusion, c’est-à-dire un facteur qui produit un effet similaire à celui que l’on attend du traitement et pouvant ainsi être mis sur le compte du traitement même si celui-ci est dépourvu d’efficacité.

De même que l’observation d’un épistaxis après la prise du traitement ne peut pas être mis sur le compte d’un effet indésirable du traitement, ce genre de phénomène émaillant spontanément l’évolution des rhinites virales.

Ces propos peuvent paraître triviaux. Il faut cependant remarquer que la confiance en l’anecdote est assez fréquente dans le grand public et parfois s’immisce dans le monde médical. La revue Prescrire (février 1999, page 118) relate quelques exemples de cet ordre comme : « Essayez, faites vous une idée ; cela vaut mieux que toutes les études du monde ! ».

Les réserves mises sur ces observations portant sur l’évolution d’un ou d’un petit nombre de patients ne veulent pas dire que ces observations sont toujours erronées. En effet, si le traitement est efficace, il entraîne une guérison accélérée du rhume.

Le problème n’est pas que l’observation ne reflète jamais la réalité, mais qu’il est impossible de faire la part des choses entre un effet du traitement étudié et l’effet des facteurs de confusion.

Figure 1(1) Observer, qu’après prise d’eau minérale pendant 5 jours, 78% des sujets présentant un rhume banal n’ont plus de symptômes, n’apporte pas la preuve de l’efficacité de l’eau minérale. Il est évident dans cet exemple que l’effet observé correspond à l’évolution naturelle du rhume. Néanmoins cette évolution naturelle se traduit par le même résultat qu’un effet bénéfique du traitement, c’est-à-dire une guérison chez un certain nombre de patients. Comme cette évolution naturelle peut-être confondue avec un effet du traitement, elle est appelée facteur confondant.
(2) L’évolution des maladies durant la prise d’un traitement ne permet pas de démontrer l’efficacité d’un traitement. Les résultats observés peuvent être dus à des facteurs confondants, indépendamment de tout effet bénéfique du traitement.

1       Les facteurs de confusion

Les facteurs de confusion produisent des effets qui peuvent être pris pour ceux d’un traitement qui en fait est dépourvu d’efficacité.

Plusieurs facteurs produisent des effets pouvant être confondus avec un effet du traitement étudié. Les principaux facteurs de confusion (« confounding factor ») sont :

·          l’évolution naturelle de la maladie,

·          l’effet placebo,

·          la régression à la moyenne,

·          l’effet de traitements concomitants,

mais bien d’autres existent.

 

Nous ne détaillerons pas l’évolution naturelle qui peut aussi bien faire croire à l’efficacité d’un traitement (lorsqu’elle consiste en une amélioration spontanée), qu’à l’inefficacité en cas d’aggravation spontanée de la maladie. Le biais de confusion induit par le recours à des traitements concomitants est lui aussi évident. Par contre, les autres facteurs de confusion nécessitent un peu plus d’explications.

1.1       L’effet placebo

La prise en charge médicale d’un patient est susceptible d’entraîner une modification de son état en dehors de toute administration d’un traitement actif. Cette amélioration apportée par des facteurs intangibles est appelée effet placebo. L’effet placebo peut être expliqué par des effets de conditionnement, d’auto et d’hétéro suggestion. Ainsi l’administration d’un traitement sans aucune activité biologique peut, par effet placebo, améliorer l’état des patients et faire croire à une efficacité du traitement.

L'effet placebo apparaît dans une expérience menée chez des volontaires qui étaient soumis à une épreuve stressante, et chez qui, était mesuré l'intensité de la réaction anxieuse (cf. figure 2). Avant cette épreuve, les sujets prenaient des gélules qui contenaient soit un anxiolytique soit un placebo. De plus ils recevaient une information sur la nature du produit qu'ils prenaient, mais cette information ne correspondait pas forcément à la réalité. Ce plan expérimental crée quatre groupes de sujets :

·          ceux qui reçoivent le placebo et à qui l'on dit qu'ils prennent le placebo,

·          ceux qui reçoivent l'anxiolytique mais à qui l'on dit qu'ils prennent le placebo,

·          ceux qui reçoivent le placebo mais à qui l'on dit qu'ils prennent l'anxiolytique,

·          ceux qui reçoivent l'anxiolytique et à qui l'on dit qu'ils prennent l'anxiolytique.

Les sujets qui prennent l'anxiolytique, en croyant que c'est le placebo, manifestent un effet anxiolytique moindre que l'effet maximum obtenu chez les sujets qui prennent l'anxiolytique en le sachant. La réduction d'effet entraînée par "l'autosuggestion" est appelée l'effet nocebo.

Figure 2 – Mise en évidence expérimentale de l’effet placebo et de l‘effet nocebo.

Les sujets qui prennent le placebo, et qui donc ne bénéficient d'aucun effet anxiolytique exogène, mais à qui on fait croire qu'ils prennent l'anxiolytique, ont cependant une diminution de leur anxiété plus importante que ceux du groupe placebo-placebo. La différence entre ces deux groupes est l'effet apporté par le fait de « croire » que l'on prend un traitement actif.

Les sujets qui reçoivent le placebo, et qui savent qu'ils le prennent, ont l'effet anxiolytique le plus petit.

Les sujets qui reçoivent l'anxiolytique et à qui on fait croire qu'ils prennent l'anxiolytique ont l'anxiolyse la plus importante. Ils ont le bénéfice maximal : celui de la molécule et celui de « l'autosuggestion ».

En conclusion, le simple fait de prendre en charge un sujet peut produire un effet favorable. C'est l'effet placebo. Ainsi un traitement sans efficacité peut, par cet effet placebo, produire un apparent effet favorable qui est alors confondu avec un effet propre du traitement.

Exemple

L’effet placebo est parfois extrêmement important dans certaine pathologie, comme par exemple le colon irritable. Dans les groupes placebo de 45 essais randomisés, une amélioration globale des symptômes est observée chez 16% à 71% des patients (en moyenne 40%)(1).

1.2       La régression à la moyenne

La régression à la moyenne (« regression toward the mean ») est un phénomène purement statistique qui survient lorsque l’on s’intéresse à un groupe de sujets sélectionnés comme ayant une valeur du paramètre d’intérêt supérieure ou inférieure à un seuil. Comme, par exemple, un groupe de sujets hypertendus sélectionnés d’après une valeur de pression artérielle diastolique (PAD) supérieure à 90 mmHg. La régression à la moyenne va entraîner une diminution de la PAD moyenne du groupe au cours du temps, sans qu’il y ait de véritable évolution de la pression artérielle des sujets. Ce phénomène, purement statistique, lié à la grande variabilité intra-individuelle de la pression artérielle et aux erreurs de mesure pourrait donc faire croire à l’effet d’un traitement sur la pression artérielle.

La variabilité intra individuelle est la variabilité des mesures réalisée successivement chez un même sujet. Il y a variabilité intra individuelle lorsque les valeurs varient d’une mesure à l’autre chez le même individu. Cette variabilité est à distinguer de la variabilité inter-individuelle qui traduit des variations de valeur entre individus (d’un individu à l’autre).

Chez un même sujet, la pression artérielle est variable d'un moment à l'autre sous l'effet de nombreux paramètres physiologiques comme le stress, l'effort physique, etc. Cependant ces valeurs oscillent autour d'une valeur moyenne caractéristique du sujet : sa vraie valeur de PAD. Du fait de ces variations, la mesure de la PAD d'un individu, à un moment donné, peut révéler une valeur supérieure à la vraie valeur ou bien inférieure. Mais la moyenne d'un grand nombre de mesures est égale à la vraie valeur du sujet.

Au moment de la sélection, du fait de la variabilité de la PAD, certains sujets auront une valeur au dessus du seuil bien que leur vraie valeur soit en dessous. De même, l’expérimentateur pourra surestimer la valeur de la PAD du fait d’une erreur de mesure. Ces patients sont inclus à tort. En réalité leur PAD est en dessous de la valeur minimale recherchée, mais, au moment, de la sélection ils avaient par hasard une valeur située au-dessus.

Lorsque, quelque temps plus tard, la PAD est à nouveau mesurée, ces patients sélectionnés à tort auront une mesure probablement plus proche de leur vraie valeur, donc inférieure au seuil. Ces valeurs vont tirer la moyenne du groupe vers le bas.

Ainsi, ce phénomène de régression à la moyenne, lié uniquement à des sujets sélectionnés à tort dans le groupe du fait de la variabilité des mesures, va entraîner une diminution de la moyenne du groupe sans aucune modification de la vraie valeur des sujets.

Ce phénomène peut être réduit en sélectionnant les sujets, non plus sur une mesure, mais sur la moyenne de plusieurs. Cette valeur moyenne étant plus proche de la vraie valeur des sujets, il y aura moins de sujets sélectionnés à tort.

2       La prise en compte des facteurs de confusion

Le problème que pose la prise en compte des facteurs de confusion est de pouvoir faire la part des choses, dans le changement observé après l’administration d’un traitement, entre ce qui est dû aux facteurs de confusion et ce qui est dû au véritable effet du traitement.

La base de la prise en compte des facteurs de confusion est l’utilisation d’un groupe de référence appelé groupe contrôle.

2.1       Principes

La solution consiste à travailler comparativement à un groupe contrôle (« control group »), qui ne reçoit pas le traitement étudié mais qui va subir les mêmes influences en provenance des facteurs de confusion que le groupe traité (avec le traitement étudié). Ce groupe contrôle constitue une référence, représentant ce qui se passe en l’absence d’effet thérapeutique (ce groupe n’est pas traité). L’effet propre d’un traitement pourra donc être déterminé en comparant l’évolution d’un groupe de patients traités à cette référence. Ce qui est observé dans ce groupe contrôle quantifie les effets des différents facteurs confondants. La part propre à l’effet du traitement étudié est obtenue en retranchant de ce que l’on observe sous traitement à ce qui est observé dans le groupe contrôle.

Du fait de l’existence d’un groupe contrôle, l’essai est dit contrôlé (« controlled trial »). C’est un essai comparatif qui compare un groupe traité à un groupe contrôle non traité afin de déduire l’effet propre d’un traitement.

 

Figure 5 – La détermination de l’effet propre du traitement nécessite de pouvoir enlever des effets observés après l'administration d’un traitement ceux qui sont liés aux facteurs de confusion. Si les facteurs de confusion expliquent 100% de ce qui a été observé, le résultat de cette soustraction sera zéro, témoignant de l’absence d’effet du traitement. Si le résultat n’est pas nul, il s’agira de l’effet propre du traitement

L’absence de groupe contrôle induit un biais, appelé biais de confusion engendré par l’incapacité du plan d’expérience à prendre en compte l’effet des facteurs de confusion.

Pour annihiler complètement les effets des facteurs de confusions une autre condition est nécessaire en plus du groupe contrôle : celle que les 2 groupes subissent exactement la même influence des facteurs de confusion tout au long de l’essai. Ce sera l’objectif des autres principes méthodologiques (randomisation, aveugle, prévention de l’attrition).

 

Contrôle complet des biais engendrés par les facteurs de confusion

=

Mesure de l’effet du traitement par rapport à un groupe contrôle

Même influence des facteurs de confusion sur les 2 groupes

2.2         Application

Comment montrer qu’une nouvelle molécule a un effet hypocholestérolémiant ? La prise pendant 4 semaines du traitement étudié est associée avec une baisse du taux de cholestérol. Se pose alors la question de savoir si cette baisse est due à un effet propre du traitement ou aux facteurs de confusion. L’observation de l’évolution spontanée de la cholestérolémie dans un groupe de patients ne recevant pas le traitement étudié (Figure 6) permet d’appréhender l’effet des facteurs de confusion. Il apparaît alors qu’il existe un effet propre du traitement car, même s’il s’avère que spontanément le taux de cholestérol baisse sous l’action des facteurs de confusion, cette baisse n’est pas aussi importante que celle qui a été observée avec le traitement testé. L’effet propre du traitement est la différence existant entre ces deux groupes : C’est la part de la baisse de taux cholestérol observée avec le traitement qui ne peut pas être expliquée par l’effet des facteurs confondants.

Figure 6 – Détermination de l’effet hypocholestérolémiant propre à un traitement par comparaison à un groupe contrôle.

L’effet observé dans le groupe placebo n’est pas seulement l’effet placebo. Il est égal à l’effet placebo ajouté aux effets des autres facteurs confondants.

 

Exemple

Un essai a comparé l’effet sur la réduction pondérale d’un nouveau traitement à un placebo chez 322 diabétiques de type 2. Le critère de jugement était la proportion de sujets ayant obtenu une perte de poids de plus de 5%. Dans le groupe placebo, 13,2% des patients ont présenté une telle perte de poids. Du fait de la fréquence importante de ces bonnes évolutions spontanées, la détermination de l’effet de ce traitement par rapport à un groupe contrôle est indispensable.

2.3       Nature du traitement administré dans le groupe contrôle

La nature du traitement que reçoit le groupe contrôle dépend de la question posée. Si cette question est d’évaluer l’efficacité « absolue » du traitement, le groupe contrôle ne doit recevoir aucun traitement actif. Par contre si la question est de savoir si le traitement étudié est plus efficace que les traitements déjà disponibles, le groupe contrôle doit recevoir le traitement standard (de référence).

Un des intérêts du placebo donné au groupe contrôle est de permettre la prise en compte de l’effet placebo en mettant les patients du groupe contrôle dans une situation identique à celle d’une prise en charge par un traitement réputé actif.

Dans le premier cas, le groupe contrôle doit être pris en charge de la même façon que s’il était traité, pour pouvoir prendre en compte l’effet placebo. En effet, nous avons vu que la simple prise en charge médicale, même sans administration de substance active, est susceptible d’entraîner une amélioration de l’état de santé par l’effet placebo. Si le traitement étudié est sans efficacité, les patients vont cependant bénéficier de cet effet placebo. Pour que les patients du groupe contrôle subissent eux aussi l’effet placebo, il est nécessaire qu’ils aient l’impression d’être pris en charge médicalement de la même façon. Pour cela, il convient de leur donner un traitement identique au traitement testé, mais qui n’a aucun effet. Ce traitement factice est appelé placebo.

Dans ce contexte, le placebo est un traitement identique au traitement étudié, s’administrant de la même façon, mais dénué d’activité biologique. Le placebo de médicament ne contient aucune substance active (en général du lactose) mais se présente sous la même galénique que le traitement étudié et sera administré de la même façon.

Le placebo a aussi un autre intérêt, celui de permettre le double insu et de faire que les deux groupes soient suivis de la même façon durant l’essai (cf. infra). Dans le cas d’un essai contre traitement de référence, les patients du groupe contrôle sont pris en charge médicalement. Il est donc inutile de donner un placebo sauf cas particulier (cf. infra double placebo).

2.4       Une mauvaise utilisation du groupe contrôle

Il arrive parfois que l’effet du traitement soit recherché de manière inadaptée par une comparaison avant-après effectuée dans le groupe recevant le traitement étudié. Le groupe contrôle est alors utilisé pour monter qu’il n’y a pas de différence sans le traitement. Cette procédure ne corrige pas la différence avant-après observée dans le groupe traité de l’effet des facteurs de confusion.

Exemple

Dans un essai de traitement de l’hyperuricémie par un uricosurique, l’uricémie dans le groupe expérimental est passée de 71 mg/l à 55 mg/l entre avant et après une période d’administration de l’allopurinol de 3 semaines (p<0,05). Dans le groupe contrôle, l’uricémie mesurée avant et après la prise d’un placebo durant la même durée est passée de 68 mg/l à 60 mg/l (différence statistiquement non significative). Cependant, la différence significative dans le groupe traité ne peut pas être avancée comme preuve de l’effet du traitement. Cet effet doit-être mesuré par la différence entre les deux groupes des changements d’uricémie entre avant et après la période de l’essai, soit : (55-71) - (60-68) = (-16) - (-8) = -8 (p>0,05). Le traitement abaisse de 8 mg/l l’uricémie de plus que le placebo, mais cette différence n’est pas statistiquement significative. Il n’est pas possible de conclure à l’efficacité de cet uricosurique.

 

 

 

 

Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale

www.spc.univ-lyon1.fr/polycop

Michel Cucherat

Faculté de Médecine Lyon - Laennec

Mis à jour : aout 2009