Pertinence clinique – Sélection des patients et population incluse

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1       Représentativité des patients inclus dans l’essai

1.1      Introduction

La représentativité des patients est acquise quand aucun type de patients ciblés n’a été systématiquement évincé de l’essai

L'analyse de la population étudiée vérifie que celle-ci est constituée de patients représentatifs de ceux vus en pratique et qu’elle n’est pas composée de patients sélectionnés. Il s’agit de déterminer si la population étudiée est proche de la population cible.

Ce point est jugé d’après la définition des critères d’inclusion et d’exclusion (est-ce que les critères de sélection sont trop étroits ou trop larges ?) et d’après la description des patients effectivement inclus (ces patients ont-ils en moyenne les mêmes caractéristiques que la population cible ?). Les critères de sélection déterminent la population qui était ciblée.

La description de la population incluse confirme dans quelles mesures cette cible a effectivement été atteinte. En effet, il n’est pas impossible qu’un essai n’arrive pas exactement à inclure les patients qu’il recherche et ceci pour diverses raisons. Par exemple, les investigateurs hésitent à inclure certains types de patients, les patients sont pris en charge d’une façon qui exclut leur inclusion dans l’essai, etc.

La présence de certains types de patients en une faible proportion ne signifie pas obligatoirement que ces patients ont été systématiquement évincés du recrutement. Ces patients ne représentent peut-être qu’une faible proportion de la population cible et il est donc normal qu’ils soient peu représentés dans l’échantillon de l’essai.

Le but est d’obtenir un échantillon relativement représentatif de la population ciblée. Les différents types de patients devraient se retrouver dans l’échantillon de l’essai dans les mêmes proportions que celles de leur répartition dans la population ciblée. Comme l’échantillon d’un essai n’est pas constitué par tirage aléatoire dans la population cible, cette représentativité n’est pas acquise de fait. Pour l’atteindre, le recrutement des patients doit éviter d’exclure systématiquement des types de patients couramment rencontrés en pratique.

1.2      Extrapolation des résultats

La question de l’extrapolabilité du résultat est la suivante : est-ce que l’efficacité obtenue sur des patients particuliers est informative vis à vis de l’efficacité du traitement chez des patients présentant d’autres caractéristiques ?

Un manque de représentativité de la population étudiée n’est gênant que si l’effet du traitement varie substantiellement en fonction des caractéristiques des patients. Dans ce cas, l’efficacité observée chez certains types de patients n’est pas le reflet de l’efficacité chez d’autres types de patients ou dans la population cible de la thérapeutique.

Un scénario fâcheux serait un traitement inefficace chez la majorité des patients de la population cible mais seulement efficace chez des sujets très particuliers et chez lesquels l’essai aurait été conduit. Toutefois, il existe peu d’exemple de ce type.

Cependant l’accent est souvent mis sur une éventuelle possibilité de ce type, conduisant à déclarer tout résultat d’essai non extrapolable sous le prétexte que, presque toujours, les patients inclus dans les essais ne sont pas représentatif des patients tout venant. Cette attitude, bien que couramment enseignée, est certainement exagérée pour deux raisons. La première est que, dans les essais qui prennent garde à ce point, les patients recrutés sont très proches de ceux de la population cible. L’autre raison est qu’il existe peu d’exemples où l’efficacité du traitement change de façon notable d’un type de patient à l’autre. Ainsi, même si les patients inclus dans un essai ne sont pas strictement représentatifs de la population générale, le résultat peut être cependant retenu. La remise en cause de l’extrapolabilité du résultat ne sera fait que s’il existe des arguments positifs forts faisant craindre un changement d’efficacité important en dehors des patients de l’essai.

Bien entendu tout ceci est une affaire de nuance. Un résultat obtenu sur des patients notablement hyper-sélectionnés n’est pas aussi convainquant qu’un résultat obtenu sur une large variété de patients, même si dans ce dernier cas la population de l’essai n’est pas totalement représentative.

Très souvent la population dépend de la façon dont est posée la question de recherche comme le montre le tableau suivant :

Question

Population de l’essai

Effet chez les patients souffrant d’un angor y compris chez les diabétiques

Diabétiques présents dans la même proportion que leur part relative dans la population générale des patients angoreux.

Cette population ne permet pas de répondre à la question « que fait le traitement chez les diabétiques ? »

Effet chez les patients angoreux diabétiques

Échantillon d’angoreux diabétiques uniquement

1.3      Patients représentatifs des patients vus en pratique

Pour être représentative de la pratique médicale de tous les jours, l'inclusion des patients doit être basée sur des critères larges, peu sélectifs tels qu'utilisés en pratique pour définir la maladie cible. L'essai a comme but de documenter la pratique médicale telle qu'elle sera mise en œuvre avec ce traitement. C'est un essai pragmatique dont le but est de savoir si l'utilisation du traitement permet en pratique d'atteindre les objectifs thérapeutiques [192].

La méthode de l’essai thérapeutique peut aussi être utilisée avec une finalité plus cognitive. Ces essais explicatifs ont alors pour but d’expliquer des mécanismes et se rapprochent de la recherche fondamentale. L’objectif de ces essais est d’étudier les mécanismes d’effet des traitements (justification théorique) mais pas d’apporter la justification factuelle de leur utilisation. Il est alors nécessaire de sélectionner un groupe de patients le plus homogène possible, afin de se placer dans les meilleures conditions expérimentales possibles. Étant donné que les patients de ces essais ne sont pas représentatifs de ceux qui sont vus en pratique, les résultats ont une faible pertinence clinique.

 

Ces principes généraux conduisent aux oppositions présentées dans le tableau 2.

Au total, un essai pragmatique n’utilise des critères de sélection que si ces critères sont indispensables pour définir la population cible du traitement. De ce fait ces critères seront ensuite utilisés dans la pratique médicale. Les critères diagnostiques issus des essais de la fibrinolyse illustrent ce principe.

Tableau 1 – Différences au niveau de la population ciblée et des critères d’inclusion entre essai pragmatique et essai explicatif

 

Essai pragmatique

Essai explicatif

Objectif

Documenter le bénéfice qu’apportera le traitement aux patients qui seront traités en pratique

Connaître l’effet du traitement dans des conditions très précises dans un but d’explication

Finalité

Pratique : valider une pratique médicale

Cognitive : connaissance et explication

Population visée

Représentative des futurs patients qui seront traités

La plus homogène possible afin de contrôler au maximum l’influence d’autres facteurs

Critères

Peu restrictif. Correspondant au critère utilisé en pratique pour décider un traitement et/ou pour caractériser un risque. Faisant appel à des examens de routine

Précis définissant parfaitement les patients recherchés. Faisant appel à des techniques sophistiquées

 

Exemple

Les grands essais qui ont démontré l’intérêt de la fibrinolyse à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde (ISIS 2 [121], GISSI [109]) ont inclus les patients porteurs d’une suspicion de nécrose en utilisant des critères différents de ceux définissant classiquement l’infarctus du myocarde constitué (douleur, élévation enzymatique et apparition d’onde Q de nécrose à l’ECG). Dans les essais les patients étaient éligibles quand ils présentaient une douleur trinitro-résistante prolongée et des signes électriques d’ischémie aiguë (sus décalage de ST de plus de 2mm dans au moins 2 dérivations).

Le bénéfice sur la mortalité totale des fibrinolytiques étant démontré chez ces patients, les mêmes critères ont été ensuite utilisés en pratique médicale courante.

1.4      Détermination de la population cible

Dans l’approche pragmatique, tous les patients porteurs de la maladie appartiennent potentiellement à la population cible de la thérapeutique, car, si en pratique le traitement confirme son intérêt, tous ces patients seront susceptibles d’être traités. De ce fait il convient de valider le traitement sur un échantillon des patients chez lesquels il sera utilisé dans la pratique médicale future. Cette démarche globale n’est cependant envisageable que s’il n’existe a priori aucune raison de penser que l’effet du traitement puisse être nettement différent chez certains types de patients. Dans le cas contraire, où il existe, a priori, des arguments pour penser que le traitement sera chez certains types de patients sans efficacité ou délétère, il n’est plus opportun de regrouper ces patients avec les autres dans un même essai. En effet, un effet délétère chez une faible proportion des patients peut être masqué par le bénéfice obtenu chez les autres patients.

Tableau 2 – Oppositions entre essais pragmatiques et essais explicatifs.

Essai pragmatique

Essai explicatif

Pas d’age limite (excepté >18 ans pour des raisons légales)

Plage d’age parfaitement définie et limitée

Pas de sélection sur le pronostic

Sélection de patients à bon pronostic pour limiter le risque de données manquantes liées au décès du patient.

Pas d’exclusion de comorbidité

Exclusion de toute comorbidité ne faisant pas partie de l’objectif de l’essai

Aucune limitation de l’utilisation des traitements validés sauf raisons particulières

Exclusion des traitements concomitants

Définition courante de la maladie (attention parfois les essais font changer la définition des maladies, exemple IDM)

Définition clinique et biologique (sérologie) d’une maladie virale

Définition hautement spécialisée

Diagnostic et typage virologique dans une maladie virale

Utilisation de méthode diagnostique simple et disponible en routine

Infarctus du myocarde diagnostiqué par la clinique et l’ECG

Utilisation de méthode hautement spécialisée (de plus haute sensibilité et spécificité)

Infarctus diagnostiqué par la scintigraphie

 

Dans ce cas, il est nécessaire de disposer de deux essais : un répondant à la question générale avec exclusion de la sous-population de patients répondant potentiellement de façon différente au traitement. L’autre essai répond à la question spécifique chez ces patients. Ces deux essais peuvent être réalisés sous la forme d’un seul essai stratifié.

La difficulté de cette approche est de déterminer, a priori, s’il y a lieu de suspecter que l’effet du traitement va être différent chez certains types de patients. La tendance spontanée est d’ailleurs de surestimer la variabilité de l’effet. Il existe relativement peu de situations où une interaction forte a été mise en évidence entre l’effet et les caractéristique des patients. Par exemple, il est fréquemment avancé que les patients à haut risque ne doivent pas être étudiés avec des patients à bas risque dans un même essai. Il n’existe pourtant pas de relation directe entre le risque et le bénéfice relatif. En effet, il s’avère fréquemment que le risque relatif est identique quel que soit le risque de base (cf. Erreur ! Source du renvoi introuvable.). Cependant, pour les traitements s’accompagnant d’effet indésirables fréquents et/ou graves la balance bénéfice-risque peut être conditionné par le risque de base des patients.

Le Tableau 3 récapitule quelques situations pour lesquelles il est licite d’envisager des variations dans l’effet traitement et la séparation de la population cible en plusieurs sous-populations étudiées séparément.

Tableau 3 – Situations pouvant faire suspecter des variations dans l’effet du traitement

·          Variations dans la pharmacocinétique du médicament entraînant suivant les cas une diminution de l’effet (en cas de diminution des concentrations) ou une augmentation des effets indésirables (en cas d’élévation de la concentration) : insuffisance rénale, inhibition ou induction enzymatique, etc…

·          Modification, voire disparition, de la cible d’action du traitement. Par exemple, à la phase aiguë de l’accident vasculaire cérébral ischémique, une reperfusion tardive apportera probablement moins de bénéfice qu’une précoce en raison de l’évolution rapide de l’ischémie réversible vers la nécrose irréversible.

·          Trait génétique conduisant à une plus grande susceptibilité aux effets indésirables (par l’intermédiaire de la pharmacocinétique ou de la pharmacodynamie) ou à une modification du mécanisme d’action ou de la cible du traitement (modification des récepteurs par exemple).

·          Risque de base faible laissant la possibilité aux effets indésirables de contrebalancer le bénéfice apporté.

·          Stade d’irréversibilité des lésions ou des processus morbides.

·          etc.

 

Au total, la population incluse dans un essai doit être représentative des patients pour lesquels existent en pratique des questions non résolues sur leur traitement ou un espoir d’amélioration de l’efficacité.

 

Exemple de relation entre le risque de base et l’effet du traitement

Les analyse en sous-groupe de la méta-analyse de la fibrinolytique à la phase aiguë de l’infarctus [94] fourni deux exemples illustrant parfaitement l’absence de systématisation dans la relation entre taille de l’effet et risque de base.

Aucune relation n’est trouvée entre l’efficacité de la fibrinolyse sur la mortalité à 35 jours (mesuré par l’odds ratio, OR) et la fréquence cardiaque (FC) qui est pourtant un facteur pronostique conditionnant fortement le risque de base (r0).

 

FC

r0

OR (IC95%)

<80

8,50%

0,84 (0,76 ;0,92)

80-99

11,30%

0,80 (0,71 ;0,89)

100+

20,70%

0,81 (0,71 ;0,91)

Test hétérogénéité : NS

 

Par contre, l’efficacité de la fibrinolyse dépend hautement du délai de prise en charge médicale de depuis le début des symptômes qui est sans influence sur le risque de base (r0).

 

Délai

r0

OR (IC95%)

0-1

13,00%

0,70  (0,57 ;0,87)

2-6

10,70%

0,75  (0,68 ;0,84)

4-6

11,50%

0,82  (0,74 ;0,90)

7-12

12,70%

0,86  (0,77 ;0,95)

13-24

10,50%

0,95  (0,83 ;1,09)

Test hétérogénéité : p<0,05 ; tendance p=0,002

 

Liste de contrôle 1 – Point à vérifier pour établir la pertinence clinique de la population incluse.

·   Le risque d’événements est proche de celui habituellement rencontré chez ce type de patients.

·   Les critères de sélection utilisent des méthodes couramment disponibles en routine.

·   Pas de limite d'age supérieure.

·   Définition opérationnelle de la maladie telle qu'utilisée en pratique et qui est à même de prendre en compte les variations de pratique.

1.5      Conséquences du regroupement de patients trop hétérogènes

Le mélange de patients différents dans un même essai n'est pas gênant tant qu'il n'existe pas de fortes modifications de l'effet du traitement entre les différents types de patients. Ce qui est le plus gênant ce ne sont pas les variations dans le risque de base mais celles dans la taille, voir le sens de l'effet du traitement (interaction). En effet, les différences de risques de bases auront simplement une répercussion sur la puissance de l'essai. Par contre l'existence d'une interaction conduit à mesurer avec un seul indicateur un effet variable d'un type de patient à l'autre

Le mélange de types de patients ne bénéficiant pas du traitement de la même manière peut rester cependant intéressant en rendant compte de l'effet "moyen" sur les patients traités en pratique de la même façon.

2       Populations particulières

2.1      Femmes

Les femmes sont souvent exclues des essais en raison d’éventuel risque tératologique des traitements testés. Afin d’éviter l’exposition d’éventuelle grossesse à ce type de risque, les femmes sont soit systématiquement exclues soit incluses à la conditions qu’elles n’aient pas de potentiel de procréation (ménopause, ou contraception de haut niveau de fiabilité). Ainsi, les femmes sont en général sous représentées et les risques tératologiques des traitements ne peuvent être connus qu’à travers l’observation rétrospective (pharmacovigilance ou équivalent pour les traitements non médicamenteux).

2.2      Personnes âgées

Chez la personne âgée de nombreux facteurs peuvent entraîner une modification de l’efficacité d’un traitement ainsi que de sa sécurité : altération de la pharmacocinétique, modification des mécanismes physiopathologiques, polymédicamentation, plus grande susceptibilité aux effets secondaires, etc…

Tableau 4 – Conséquences des risques compétitifs chez la personnes agées

 

Sans traitement

Sous traitement

Personne âgée

Risque cible du traitement

20%

10% (RR=0,5)

Risques compétitifs

20%

20%

Risque total

40%

30%

Réduction relative de la mortalité totale

15%
(1 – 0,3/0,4)

Personne d’age moyen

Risque cible du traitement

20%

10% (RR=0,5)

Risques compétitifs

5%

5%

Risque total

25%

15%

Réduction relative de la mortalité totale

40%
(1 – 0,15/0,25)

 

De plus, les nombreux risques compétitifs existant à cet âge minorent le bénéfice d’un traitement réduisant une mortalité spécifique. Réduire par un traitement une cause de mortalité parmi d’autres n’aura pas beaucoup de conséquences sur la mortalité totale. Ainsi un traitement bénéfique chez le sujet d’âge moyen, n’aura peut-être pas les mêmes conséquences chez les sujets âgés. Le tableau 4 illustre ce point avec un exemple où la cause de décès cible de la thérapeutique engendre le même risque de 20% quelque soit l’âge. Chez la personne âgée, les autres risques compétitifs diluent davantage le retentissement au niveau de la mortalité totale de l’effet du traitement que chez la personne d’âge moyen.

Le traitement semble apporter un bénéfice moins important chez la personne âgées que chez les sujets plus jeunes, se traduisant par une réduction relative de risque 2,6 fois plus petite. Il convient cependant de remarquer que le bénéfice absolu est le même chez les personnes âgées que chez le sujet d’âge moyen. Le traitement de 100 patients évite la survenue de 10 événements quel que soit l’âge de patients. Ainsi, il apparaît que l’augmentation du risque de base rencontrée chez la personne âgée est susceptible de compenser une baisse de l’efficacité relative du traitement. À l’opposé, l’augmentation du risque de base peut, dans d’autres cas, rendre intéressant chez les personnes âgées un traitement sans grande utilité chez le sujet d’âge moyen. Ces possibilités d’interaction mettent l’accent sur la nécessité de disposer d’essais incluant les personnes âgées.

2.3      Origines ethniques et/ou géographiques

Les essais multicentriques recrutent maintenant des patients dans de nombreux pays à travers le monde, et regroupent donc des patients issus d’origine géographique et ethnique variée, traités dans des contextes de soins différents. Ce cosmopolitisme présente de nombreux avantages : recrutement d’effectifs très importants, validation du traitement à travers un grand nombre de pratique de soins et de types de patients.

Cependant il existe des situations où l’inclusion au sein d’un même essai de patients trop différents les uns des autres altère la signification du résultat. C’est, par exemple, le cas avec des traitements pour lesquels des interactions génétiques sont connues ou fortement probables. Il en est de même quand les contextes de soins sont extrêmement différents. La recherche de variations de l’effet du traitement en fonction du pays est couramment réalisée à la recherche de ce type de problèmes mais cette approche se heurte aux limites des analyses en sous groupes. Une littérature abondante existe sur ce sujet.

3       Run-in

 

 

 

Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale

www.spc.univ-lyon1.fr/polycop

Michel Cucherat

Faculté de Médecine Lyon - Laennec

Mis à jour : aout 2009